vendredi 23 novembre 2012

Je n'aurais jamais dû ouvrir cette porte...

Je n'aurais jamais dû ouvrir cette porte. Une banale porte de placard, toute simple, en bois de chêne vernissé et luisant, malgré la poussière et les trous dû aux vers. Une porte de placard, dans une vieille maison délabrée, que l'on disait hantée. Evidemment, l'endroit de jeu préféré des enfants de ma génération, malgré l'interdiction de nos parents, qui ne semblaient plus se rappeler qu'ils avaient eux-mêmes bravés l'interdit au même âge. Un groupe d'enfants dont je faisais partie jouaient à cache-cache, et j'étais montée à l'étage, dans cette chambre aux murs de papier taché.

J'avais ouvert cette porte de placard en tremblant, m'attendant à ce qu'un fantôme en surgisse, me faisant pousser un hurlement de terreur, mes cheveux devenant tout blancs. J'avais soupiré de soulagement en ne voyant que quelques étagères toutes cassées, sauf celle du haut, ainsi que quelques draps poussiéreux et mangés par les générations de mites et de souris s'y étant succédées. Les draps avaient une forme un peu bizarre, comme s'il y était caché quelques branches de bois et un melon, lorsque le "Cent ! Planquez-vous !" de l'enfant qui devait nous chercher retentit.

Le placard étant suffisamment grand pour ce que je voulais en faire, je m'y engouffrai et refermai la porte sur moi, sursautant au bruyant grincement. On aurait dit une craie crissant sur une ardoise ! J'étais vraiment bien cachée : après une demi-heure, je fus la seule à n'avoir pas encore été découverte. Je souris dans le noir, sachant que d'ici un quart d'heure, selon nos règles, s'ils ne m'avaient toujours pas trouvée, j'aurais gagné. Les quinze minutes s'écoulèrent, et les autres enfants s'écrièrent : "C'est bon, tu peux sortir, tu as gagné ! La prochaine fois, c'est toi qui t'y colles !" Je me mis à rire tout haut, et poussai la porte.

Les lourds battants de bois refusèrent de s'ouvrir. Je m'appuyai plus fort contre eux, mais ils frémirent à peine. Ennuyée, sentant un début de panique pointer le bout de son nez, je criai pour appeler les autres. Inexplicablement, ils ne m'entendirent pas : pourtant je les entendais, moi, parfaitement ! Mais peut-être était-ce à cause de leurs appels incessants, qui couvraient peut-être le son de ma voix ? Un nouveau quart d'heure passa. Un ultime appel résonna, puis les autres enfants s'en allèrent, ayant peur d'être grondés par leurs parents, et se rassurant à la pensée que je les avais lâchement abandonné dès le début du jeu. Je m'égosillai en vain. Je n'entendis bientôt plus rien, et le silence pesa sur mes épaules.

Je cédai soudain à la terreur : hurlai, sanglotai, me jetai contre les murs de ma prison, mais peine perdue, le vieux bois si pourri, avait encore un cœur solide. Après quelques minutes de terreur absolue, momentanément calmée, je me souvins de la raison qui poussait nos parents à nous interdire l'accès de cette bâtisse. Depuis des années, la maison avait été totalement abandonnée ; depuis que ses derniers propriétaires étaient morts. Une histoire à faire peur courait sur ce lieu, une histoire que je savais désormais être vraie.

La maison des enfants disparus ! Alors une odeur de vieux os cachés dans de vieux draps monta à mes narines, me faisant frémir d'horreur quant au sort qui m'attendait. Un jour, dans bien longtemps, un autre enfant, comme moi, viendrait y jouer, et resterait à jamais prisonnier de ces murs, terrorisé devant mon squelette agrippé à la porte...

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Cette nouvelle vient du premier soir où le tout nouveau (à l'époque) club d'écriture de la ville de Lacroix Saint Ouen s'assemblait. Nous ne savions pas encore trop quoi faire et l'une d'entre nous a sorti en plaisantant "Je n'aurais jamais dû ouvrir cette porte...!" Une autre a alors lancé l'idée de passer une vingtaine de minutes à écrire une petite histoire ou un poème en partant de cette phrase.

La maison est issue tout simplement du bâtiment dans lequel nous nous trouvions, à l'origine une maison dont la construction avait été abandonnée, et qui a été démolie pour faire place à la Maison des Arts-Lettres-Cultures.

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